Dr claude jean Paris
trouble bipolaire, un trouble à la
mode ?
Certains
détracteurs voient dans ces coming out (annonce
volontaire d’une caractéristique personnelle habituellement jugée honteuse) de
célébrités l’expression d’une mode, portée par une pathologie qu’on imagine
récente. Pourtant, la maladie était déjà évoquée par Hippocrate et sa théorie
des humeurs.
Par la
suite, elle s’est fait connaître sous le nom de psychose maniaco-dépressive, dû
à un psychiatre allemand de la fin du XIXe siècle,
Emil Kraepelin. Ce n’est que depuis 1980 et la troisième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM
3) qu’on parle de trouble bipolaire.
L’abandon du terme psychose maniaco-dépressive n’était pas expressément
destiné à diminuer la stigmatisation lié à la maladie. Mais nombreux sont les
patients à préférer son nom actuel.
Des phases caractéristiques d’excitation
ou d’euphorie
Le trouble bipolaire se caractérise par des phases dites
« maniaques » – rien à voir avec le sens courant, évoquant le goût
extrême pour la propreté, l’ordre ou les habitudes. Le terme médical désigne
des phases d’excitation et/ou d’euphorie qui durent quelques jours à quelques
semaines.
Ces phases sont parfois plaisantes pour les patients, avec une estime de
soi et une énergie augmentées. Mais elles peuvent être l’occasion de troubles
du comportement et de mise en danger, avec des achats inconsidérés, des rixes,
des rapports sexuels à risque, l’usage de substances psychoactives ou des
infractions.
Concernant ces phases, les formes d’intensité modérée (qu’on appelle
hypomanes) passent parfois inaperçues, n’amenant pas les personnes à consulter.
Par contre, les troubles induits par les formes les plus intenses (dans
lesquelles il y a parfois des symptômes délirants) peuvent être très
impressionnantes. Chez les patients, y compris les célébrités, elles ont des
conséquences néfastes, tant dans la vie professionnelle que personnelle.
En alternance de ces phases, des épisodes dépressifs peuvent être présents.
On les identifie par une rupture du comportement habituel de la personne
pendant au moins 15 jours, avec une humeur triste toute la journée ainsi
que des symptômes associés comme un trouble de la concentration, du sommeil ou
de l’appétit.
Dans l’édition la plus récente du DSM, le DSM 5, on distingue deux formes
de trouble bipolaire, le type I en présence de phase maniaque, et le
type II lorsqu’il y a uniquement des phases hypomanes.
Un trouble tellement cinématographique
Le
trouble bipolaire exerce une fascination certaine, comme en atteste la présence
de protagonistes touchés par cette maladie dans de nombreuses œuvres
cinématographiques ou audiovisuelles, par exemple les séries à succès Homeland et Empire. Premier constat positif, les tableaux
cliniques présentés dans ces fictions sont bien plus vraisemblables que pour
d’autres troubles psychiques comme la schizophrénie. Par ailleurs, les phases
du trouble bipolaire servent l’intrigue pour quelques épisodes seulement. Une
fois stabilisé, le trouble en lui-même devient très périphérique dans
l’histoire. Il n’est pas l’essence même du personnage, qui n’a pas l’étiquette
de « malade mental ».
Dans la vraie vie aussi, le trouble bipolaire évolue par épisodes, entre
lesquels les patients peuvent tout à fait retrouver une vie normale – c’est un
aspect qui mérite d’être souligné.
Ainsi,
dans le soap opera américain Empire, le personnage secondaire Andre Lyon présente
une phase maniaque, qui l’amène à être hospitalisé. Son humeur s’équilibre
ensuite avec un traitement. La stigmatisation envers les personnes touchées par
le trouble bipolaire, encore
très fréquente, y est représentée de manière simple mais réaliste.
Il en est de même pour la composante héréditaire de la maladie, la grand-mère
du personnage en étant également atteinte. La qualité des informations
dispensées par la série est d’autant plus remarquable que celle-ci n’a aucune
vocation médicale – elle est centrée sur le monde de la musique hip-hop à New
York. Globalement, la mise en scène de la maladie dans cette fiction représente
une avancée dans la lutte contre la discrimination des
patients atteints.
Une maladie banalisée par sa
médiatisation ?
La
médiatisation de la maladie a cependant pour effet dommageable sa banalisation
aux yeux de certains. L’hebdomadaire Le Nouvel Obs l’avait
ainsi qualifiée de « tendance » et « sexy », lui consacrant la couverture d’un numéro en 2013.
Que des célébrités soient touchées par le trouble bipolaire rendrait cette
maladie « glamour », selon le raisonnement avancé dans l’article.
Cela pousserait des personnes non concernées à revendiquer ce trouble,
entraînant un phénomène de contagion. On entend fréquemment des poncifs comme
« tout le monde se dit bipolaire maintenant ».
L’argument, pourtant, est difficilement recevable. Des patients arrivent
parfois en consultation chez un psychiatre avec ce diagnostic, qui s’avère
erroné. C’est alors au médecin de poser un nouveau diagnostic. Les patients
réellement atteints, eux, vivent comme une double peine d’entendre que leur
trouble – fréquemment sévère, chronique et invalidant – puisse être considéré
comme enviable.
Rappelons que le trouble bipolaire est associé, dans la littérature
scientifique, à une santé physique moins bonne, une espérance
de vie plus courte et un risque
suicidaire 20 fois plus élevé que dans la population
générale.
Revendiquer un trouble dont on ne serait pas atteint ? Dans les faits,
le discrédit jeté par la maladie sur les patients bien réels est tel… qu’il ne
leur viendrait pas à l’idée de s’en vanter. Il est d’ailleurs extrêmement rare
qu’ils puissent faire connaître leur diagnostic à
leur entourage familial, amical et professionnel. Quand c’est le
cas, ils se heurtent bien souvent à la méconnaissance voire même négation de la
souffrance endurée. Les célébrités n’échappent pas plus que les autres à ce
phénomène.
Un cas clinique nommé Mariah Carey
Star extrêmement populaire aux États-Unis – et
ailleurs dans le monde – Mariah Carey a évoqué son trouble bipolaire (de type 2)
à la une d’un magazine très diffusé dans son pays. Elle y évoque notamment son
déni de la maladie au moment où le diagnostic a été posé – une réaction
fréquente chez les patients. Elle aborde aussi la rémission, obtenue à l’aide
d’un traitement alliant médicaments et psychothérapie.
Il est déjà rare qu’une personnalité de cette envergure aborde publiquement
un problème de santé mentale. Et plus encore, qu’elle parle de l’aide apportée
par les soins et de la notion de rétablissement. L’annonce faite par Mariah
Carey a eu un impact certain sur ses concitoyens. Celui-ci est même mesurable
puisqu’il s’en est suivi, aux États-Unis, un pic de requêtes sur le moteur de recherche Google,
le record sur quatre ans, pour les mots « trouble bipolaire ».
De la
même façon, l’actrice hollywoodienne Angelina Jolie avait évoqué en 2013 sa
double mastectomie (ablation des seins) à titre préventif. Elle est en effet
porteuse d’une mutation génétique l’exposant à un risque élevé de cancer du
sein. Sa courageuse tribune dans le quotidien américain The New York Times a permis une augmentation
importante des connaissances de tout un chacun sur le sujet et
aussi une amélioration de la prise en charge en cancérologie du
sein aux États-Unis. Un « effet Angelina Jolie »
devrait être possible dans le champ de la santé mentale.
Des réactions négatives sur les réseaux
sociaux
Pourtant,
les réactions à la révélation de Mariah Carey sur le compte Twitter et la page
Facebook du magazine People n’ont
pas toutes été empreintes d’empathie. Depuis la parution de son témoignage,
environ un tiers des messages sur ces réseaux sociaux sont de teneur négative,
selon l’observation que nous avons réalisée.
Des messages accusent par exemple la star de se donner l’excuse d’un
trouble psychique pour justifier des écarts dans son comportement. D’autres
moquent le fait qu’elle porterait depuis longtemps déjà des stigmates de ses
difficultés psychiques.
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